«Il ne s’agit pas de charité, mais des secteurs d’activité du futur»

Cédric Habermacher est directeur de Green Business Switzerland et l’intervenant principal de la Journée suisse de la recherche média de cette année. Dans cette interview, il explique à Corinne Gurtner, Director of Corporate Communications de la REMP, ce qu’il entend par action durable, dans quelle mesure celle-ci est compatible avec les objectifs économiques, pourquoi il considère que les entreprises ont un impact décisif dans la solution et quels défis lui réserve la remise annuelle du Green Business Award.
Bonjour Cédric Habermacher, le débat sur la durabilité est actuellement omniprésent. Comment les personnes qui ne sont pas expertes en la matière peuvent-elles reconnaître les actions durables des entreprises et les distinguer du pur greenwashing?
Malheureusement, c’est souvent très difficile. Il n’existe pas de normes reconnues de manière internationale en matière de durabilité. À cela s’ajoute le fait que la durabilité est parfois complexe et ne se comprend pas toujours intuitivement. Prenons un exemple: Pendant un certain temps, pour faire ses courses, il était tendance de ne pas utiliser les petits sachets en plastique proposés dans les magasins, mais d’acheter un sac en tissu. Mais si l’on tient compte de l’ensemble du bilan écologique, c’est-à-dire de la production, du transport et de l’élimination, il faut utiliser un tel sac en tissu plus de 130 fois pour qu’il soit plus «durable» qu’un sac en plastique. Peu de gens le font. Il y a donc encore beaucoup à faire en matière de transparence dans le domaine de la durabilité. Des labels fiables s’avèrent également utiles, mais le WWF ou nachhaltigleben.ch donnent aussi de bonnes lignes de conduite auxquelles on peut se référer.
Dans les faits, comment définit-on et mesure-t-on la durabilité?
La manière la plus connue de le faire est certainement la «Triple Bottom Line», qui énonce que pour un développement durable, les objectifs sociaux, écologiques et économiques d’une organisation doivent être poursuivis de manière équilibrée. Mais comme je l’ai dit plus tôt, il n’existe pas de normes internationales sur ce que cela signifie en détail.
Même les notations ESG du monde de la finance, qui mesurent la durabilité des entreprises, ne sont pas homogènes et aboutissent souvent à des résultats très différents pour une même entreprise.
Les 17 objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU constituent assurément une boussole globale importante.
Green Business Switzerland considère les entreprises comme un élément central de la solution. Dans quelle mesure la durabilité est-elle compatible avec la rentabilité?
Le prétendu compromis entre rentabilité et durabilité est une erreur de raisonnement. Tant que nous nous laissons quasiment «subventionner» par l’environnement, il peut être économiquement plus rentable à court terme de ne pas être durable. Cela a malheureusement conduit notre planète à la limite de ses capacités en peu de temps. Chez Green Business Switzerland, nous sommes donc convaincus que les entreprises ne réussiront à l’avenir que si elles agissent de manière durable. Il ne s’agit pas de charité, mais des domaines d’activité du futur!
Que conseillez-vous aux entreprises du marché des médias et de la publicité qui souhaitent s’engager activement dans la transformation vers la durabilité?
Il existe aujourd’hui différentes initiatives formidables qui soutiennent les entreprises dans ce processus. Un bon point de départ serait par exemple esg2go.org. Cet outil offre aux PME un état des lieux pratique et peu coûteux qui leur permet de mesurer et de comparer leur propre durabilité. Si l’on souhaite publier les résultats dans un rapport, cela se fait en partie automatiquement.
Les entreprises souhaitant aller plus loin peuvent également adhérer à l’initiative Science Based Targets (https://www.go-for-impact.ch/fr/projet/science-based-targets-initiative).
Les diffuseurs de messages marketing et publicitaires veulent avant tout convaincre d’acheter un produit ou un service. Or, un comportement durable est souvent assimilé à un certain renoncement ou du moins à une réduction de la consommation. Comment cette contradiction peut-elle être résolue?
Il faut ici opérer une distinction. La consommation de masse de biens qui ne sont extrêmement bon marché que parce qu’il n’est pas tenu compte dans leur prix des dommages qu’ils causent à l’environnement ne sera jamais durable. En ce sens, il n’y a pas de contradiction à résoudre. Mais à mes yeux, cette forme d’économie n’a de toute façon aucun avenir.
Toutefois, je ne crois pas non plus que la solution réside dans un renoncement généralisé des consommateurs. Dans un monde où, par exemple, un tiers de la nourriture produite ne finit jamais dans l’assiette, nous avons d’autres problèmes à résoudre avant même de devoir parler de renoncement. Les solutions en ce sens existent déjà. Nous les récompensons avec notre prix. Il s’agit désormais que ces solutions arrivent en grand nombre sur le marché. C’est là que l’industrie de la publicité peut apporter une contribution importante. Si elle parvenait même à faire entrer dans l’esprit des gens un nouveau respect pour notre planète au lieu d’une mentalité «plus radin, plus malin», ce serait une grande victoire.
Green Business Switzerland décerne chaque année un prix pour les «solutions de premier plan dans le domaine de la durabilité entrepreneuriale». Quels critères une entreprise doit-elle remplir pour être lauréate?
Nous récompensons des solutions entrepreneuriales qui apportent une contribution pertinente aux grands défis écologiques de notre époque et qui sont également prospères sur le plan économique. C’est en effet la seule façon de réussir la transformation dont nous avons besoin de toute urgence! De nombreuses solutions durables ont certes besoin de meilleures conditions-cadres réglementaires pour être mises sur le marché de manière équitables, mais nous montrons qu’il existe d’ores et déjà dans tous les secteurs des exemples inspirants alliant avec succès écologie et économie. De cette manière, elles obtiennent rapidement, et avec un grand effet de levier, un véritable impact pour notre planète.
Est-il devenu plus difficile ou plus facile de trouver des candidats ces dernières années?
Bien qu’il soit de plus en plus simple de trouver des solutions durables, c’est un défi de trouver chaque année les entreprises les plus convaincantes. Pour ce faire, nous disposons d’un processus de sélection unique en son genre avec une assurance qualité à plusieurs niveaux. Les entreprises ne peuvent d’ailleurs délibérément pas se présenter elles-mêmes, car nous estimons que les meilleures n’ont souvent pas le temps de se préoccuper des prix. C’est pourquoi nous collaborons avec toutes les organisations économiques importantes du pays, qui connaissent très bien leurs marchés et nomment les meilleures solutions entrepreneuriales à l’attention de nos jurys.
Que faites-vous personnellement pour réduire votre empreinte écologique?
En tant que directeur de Green Business Switzerland, j’ai délibérément choisi d’investir une grande partie de mon temps dans la promotion de la durabilité des entreprises. C’est probablement par mon travail que j’obtiens l’impact le plus important.
Dans le cadre de ma vie privée, je prends rarement l’avion, j’investis mon argent de manière durable et j’essaie autant que possible d’acheter des produits durables. Mais pour être tout à fait honnête: je ne suis pas encore parvenu au stade où je voudrais être en ce qui concerne mon empreinte écologique. En partie par commodité ou par habitude, mais souvent aussi parce que je ne peux pas influencer énormément de choses. Les entreprises ont plus d’effet de levier dans ce domaine.
Vous tiendrez cette année un discours inaugural à l’occasion de la Journée suisse de la recherche média. Pourquoi ne faut-il en aucun cas le manquer?
Je présenterai en 20 minutes mes principales conclusions, mes histoires les plus intéressantes et mes exemples les plus inspirants dans le monde de la durabilité entrepreneuriale.
Merci beaucoup pour ces explications et ces pistes de réflexion passionnantes.

Qui est-il?
Cédric Habermacher est économiste et père de famille. Depuis 2019, il dirige Green Business Switzerland et s’est fixé pour objectif d’inspirer les entrepreneurs de ce pays pour les mener vers une véritable durabilité entrepreneuriale.
Parallèlement, il pratique le vol en thermique en compagnie des aigles et produit de la musique pour des groupes suisses et des films pour le cinéma.